L’engagement des entreprises et du secteur financier en faveur de la durabilité progresse-t-il rapidement ? La réponse est non. Bien loin de se précipiter vers des pratiques plus durables, les entreprises et les institutions financières avancent à pas de tortue. Bien que certains aient fait des progrès louables, trop souvent les engagements publics sont accompagnés d’une bonne dose d’enjolivement et de « greenwashing». Le Secrétaire général des Nations Unies, António Gutteres, est allé jusqu’à qualifier certaines déclarations d’émissions nettes nulles de « supercheries » et de « manipulations éhontées». Il est temps de changer les mentalités. Les chercheurs ont contribué à créer une énorme opportunité ; maintenant, ils doivent aider à transformer les idées en réalité.
Le rôle des entreprises et de la finance dans les objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies
La place des entreprises et de la finance est primordiale dans plusieurs des 17 objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies, que Nature examine à mi-parcours de leur échéance en 2030. Par exemple, l’ODD 9 préconise de « construire une infrastructure résiliente, promouvoir une industrialisation durable et inclusive, et favoriser l’innovation ». L’ODD 17 vise à renforcer les partenariats pour la mise en œuvre des objectifs, en mettant l’accent notamment sur l’augmentation de l’aide et des investissements internationaux, l’amélioration du transfert de technologies et le renforcement des capacités des pays à faible et moyen revenu pour rembourser leurs dettes.
Dépasser les promesses vagues et le greenwashing
Il serait judicieux que les entreprises et les institutions financières définissent plus précisément ce que signifie être durable, plutôt que de faire des promesses vagues d’émissions nettes nulles. Après la conférence climatique COP26 à Glasgow en novembre 2021, le Secrétaire général Gutteres a constitué un groupe de 17 experts, présidé par l’ancienne ministre canadienne de l’Environnement Catherine McKenna, pour conseiller sur les normes de reporting des émissions nettes nulles par les entreprises, les villes et les régions. Il est recommandé que les objectifs d’émission soient précis et vérifiés par des parties indépendantes. Le reporting ne peut pas être sélectif, les entreprises ou les institutions ne peuvent pas prétendre être sur la voie des émissions nettes nulles tout en investissant dans des sources d’énergie fossile. De plus, il doit être fréquent et ne pas se contenter de promesses vagues à réaliser pour l’avenir. Gutteres demande une action pour se conformer à ces recommandations avant la réunion COP28 à Dubaï, aux Émirats arabes unis, à la fin de cette année.
Les défis financiers de la transition vers la durabilité
Un autre obstacle à l’industrialisation durable est le manque de fonds pour développer des sources d’énergie renouvelable pour alimenter les foyers et les usines. Le montant de capital nécessaire à la réalisation des ODD augmente chaque année. Selon un rapport de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, plus de 4 billions de dollars sont nécessaires annuellement, contre 2,5 billions de dollars en 2015. Cependant, les pays à faible et moyen revenu peinent souvent à obtenir les investissements requis en raison de la volatilité de leur devise par rapport au dollar américain. De plus, ils se voient fréquemment facturer des taux d’intérêt plus élevés que les pays à revenu élevé, ce qui entraîne des coûts de remboursement importants et un risque élevé de défaut.
La solution de l’Initiative de Bridgetown
Barbade a peut-être trouvé une solution pour surmonter ces problèmes. L’économiste Avinash Persaud, conseiller de la Première ministre Mia Mottley, propose que de grandes institutions financières mondiales, telles que la Banque mondiale et le Fonds Monétaire International, fournissent des financements pour compenser les pertes liées aux fluctuations des devises. Il s’agirait d’un montant relativement faible, qui débloquerait des sommes beaucoup plus importantes pour des investissements durables, les investisseurs considérant les pays à faible et moyen revenu comme moins risqués. L’initiative de Bridgetown, soutenue par le Président français Emmanuel Macron, bénéficie de l’écoute de la Secrétaire du Trésor américaine Janet Yellen et du Président de la Banque mondiale Ajay Banga.
Le rôle de la recherche et de la pression scientifique
Cependant, l’initiative de Bridgetown nécessite une contribution de la recherche, par exemple pour étudier comment les contrats de dette peuvent être ajustés pour éviter que les pays ayant connu des catastrophes naturelles ne voient pas leur notation de crédit baisser, ou comment les investissements ou les subventions peuvent être structurés pour financer les pertes et les dommages, afin que les personnes les plus vulnérables reçoivent rapidement des fonds. Les systèmes existants reposent souvent sur les gouvernements nationaux pour la distribution des fonds, ce qui signifie que les personnes les plus marginalisées risquent de passer à côté.
Des changements de ce type sont essentiels pour le financement de la durabilité, car même de petites modifications du système financier multilatéral pourraient libérer les milliards de dollars nécessaires chaque année pour atteindre les ODD, de l’argent qui ne circule pas actuellement. Ces idées sont sur la table grâce aux informations des chercheurs et aux actions des organisations non gouvernementales. Les scientifiques doivent continuer à exercer une pression, y compris en vérifiant les affirmations des entreprises concernant leur durabilité. Sinon, il y a un risque que la situation continue comme auparavant. Attendre vingt ans pour voir des changements est trop long.